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– Que pensez-vous de l’altruisme des personnages de vos romans ? Est-ce réaliste.

– Je me rends bien compte que les gens qui occupent les premiers rôles sont particulièrement généreux. Mes textes sont-ils naïfs à ce sujet ? …

(Cannelle me fixe, le regard interrogatif).

– Je lis des polars et de thrillers de temps à autre. Je regarde des films et des séries sur les plateformes de streaming. Il est évident que dans la culture littéraire et télévisuelle des années 20 du 3e millénaire, on trouve beaucoup d’égoïstes, de fourbes, de lâches et de salops. Pourtant, dans « La Clé de 14 » et dans « Le 14e Soupirail », la plupart des personnages principaux sont formidables.

Je suis victime d’un biais d’écriture, alors ?

(Sourire de l’intervieweuse qui est satisfaite de mon hésitation).

– Je vais essayer d’argumenter.

Bon, les faits que je relate se déroulent vers 1980. En 1980, j’avais dans les 20 ans. Et je crois que j’ai écrit avec mon état d’esprit de l’époque. Cette atmosphère m’est peut-être venue avec la description des objets et de la culture du moment. J’avais déjà une vision très sombre des puissances avides et hostiles qui œuvrent en arrière-plan. Pourtant, en même temps, j’avais alors de l’admiration pour mes copines et mes copains. Je leur faisais facilement confiance. D’inquiétants et puissants mystères régnaient, tapis dans les recoins de l’humanité, mais des amitiés joyeuses et inconditionnelles tenaient le premier plan. J’ai eu cette chance.

– Ça parle de vous ?

– Et bien, pas forcément. Ces livres n’ont rien d’autobiographique, tout de même ! Heureusement d’ailleurs.

(Nouvelle gaîté satisfaite).

– Vers 1980, la culture était différente. C’était il y a 40 ans. Les gens roulaient en Renault 16, en Simca 1100… Ils téléphonaient depuis des cabines disponibles au coin des rues et sur les places de village. Il n’y avait que 3 ou 4 chaînes de télé. Toutes les relations entre personnes se vivaient dans le monde réel. C’était culturellement très différent. Et l’entraide ne s’évanouissait pas aussi facilement qu’en oubliant de lire un SMS ou en n’écoutant pas sa messagerie. Les camaraderies étaient peut-être plus difficiles à nouer. Elles nécessitaient plus d’engagements qu’actuellement. Dorénavant, c’est plus fluide. On séduit et on oublie. Who’s next ?

– Êtes-vous aussi généreux et courageux que vos personnages ?

– Là, vous êtes rude !

En écrivant ou en relisant, je me suis souvent posé la question : « et toi, l’aurais-tu fait ? »

Je ne sais pas…

Le niveau de l’engagement et l’implication ? Peut-être. Ça dépend du moment de ma vie. En 2022, non. J’ai perdu mes capacités d’exaltation et je me retrouve un peu désabusé. Mais quand j’avais 20, 25 ou 30 ans, je crois que j’aurais facilement engagé tout mon temps et toutes mes forces, comme l’on fait les Graça, Dany, Hank, Chambord…

La bravoure ? C’est là que j’aurai probablement flanché. Je crois que je me serais dégonflé dans certaines circonstances. Mais certains de mes amis très proches d’autrefois auraient eu ce courage.

Alors, finalement, « et toi, l’aurais-tu fait ? » Oui, mais depuis l’arrière garde de la troupe.

– Si je vous comprends bien, vos personnages sont à leur place et dans leur rôle.

– C’est ce que je prétends.